Le turn-over s’envole dans les cabinets d’audit. Pourquoi une telle accélération ? Pourquoi ne suffit-il pas de multiplier les actions de bien-être au travail ? Que faudrait-il revoir dans le planning et l’organisation des missions ? Expériences croisées de deux auditeurs partis après trois ans chez un Big.
L’accélération du turn-over met en danger les cabinets d’audit
« Après trois ans, je ne connaissais plus personne dans le service » : le ressenti de Caroline S., qui a quitté un Big l’an passé, correspond bien à la réalité des cabinets aujourd’hui : de plus en plus d’auditeurs quittent leur cabinet après trois ans d’expérience1, voire plus tôt encore.
Le fort turn-over chez les Bigs constitue certes un phénomène récurrent, propre à la « sélection naturelle » dans des organisations fortement hiérarchisées, où l’on est évalué en permanence et où l’on est appelé à progresser chaque année (sauf à redoubler…). Mais son accélération n’est certainement pas une bonne nouvelle, pour son coût, d’abord. Mais aussi pour sa dimension psychologique : comme l’indique la dernière étude FED Finance2, un turnover important provoque chez les collaborateurs comme chez leurs dirigeants un sentiment d’insatisfaction dû à une organisation interne instable (respectivement 65 % et 61 %).
D’autant que quand les jeunes auditeurs quittent leur poste, ce n’est plus pour intégrer un autre cabinet. « La majorité part pour entrer dans une direction financière, d’autres pour mener des projets entrepreneuriaux… mais très peu restent en audit », résume Virginie Palethorpe, Associée Audit et en charge des sujets RH chez Grant Thornton1. Conséquences : les seniors (3 à 4 ans d’expérience) et les jeunes managers font cruellement défaut. Et ceux qui restent sont encore plus chargés qu’avant.
Pourquoi les jeunes auditeurs partent si vite ?
On sait pourquoi on entre chez un Big : le CV, la montée en compétences, la prise rapide de responsabilités managériales, la constitution d’un réseau professionnel, l’ouverture sur des postes à responsabilité en entreprise.
Un alliage qui attire toujours : KPMG France a reçu à lui tout seul 47 000 candidatures en audit en 2021 ! Loïc M., parti d’un Big après 3 ans lui-aussi, illustre : « On s’y retrouve dans la continuité de l’école, ce qui assez rassurant quand on entre dans la vie professionnelle. Formations, évaluations, passage au niveau supérieur. »
Mais pourquoi est-ce qu’on en part ?
- Le salaire : « L’audit, ça n’est pas très bien payé, mais on avance vite. Avec de bonnes évaluations, la perspective est de progresser chaque année d’un bon 10%, et même 20% quand on passe Senior », explique Loïc. « Quand on part, on prend +15 K€ », complète Caroline. De fait, les grilles salariales sont assez basses dans les Big au cours des premières années. Et l’intéressement ou la participation y sont souvent une histoire récente.
- Les conditions de travail : le respect de l’équilibre vie privée vs. vie professionnelle n’a pas toujours été central dans le management des grands cabinets d’audit et il reste tendu : « Je n’ai jamais été en disponibilité », raconte Caroline, qui souligne que le pic traditionnel d’activité (octobre à avril) tend à s’étirer toute l’année. « On enchaîne les missions, on travaille sur plusieurs dossiers à la fois, on manque de temps pour finaliser ».
- La pression est constitutive de l’expérience du jeune collaborateur : évaluation permanente, reporting constant, première expérience de management, premier rendez-vous client une semaine après l’arrivée au cabinet… Le problème, c’est s’il perdure. « Quand on voit son Senior Manager surchargé de missions envoyer des mails à 3 heures du matin, on se pose des questions quant à l’intérêt de prendre sa place », remarque la jeune femme, qui a été témoin de plusieurs burn-out dans son entourage professionnel.
- La compétition : Les bonnes missions, les bonnes évaluations, les bonnes augmentations, n’arrivent pas toutes seules. De la saine émulation au concours de flatteries, la concurrence interne peut vite se dégrader en méfiance généralisée, surtout si les séminaires en commun et les occasions de rencontres ne sont pas réapparus après le Covid.
- Le sens du travail : « En mission, on est encore souvent vus comme des gendarmes. Nous sommes souvent isolés dans l’entreprise auditée, nous déjeunons à part, etc. Moi je voulais aider les sociétés à évoluer plus que les contrôler », explique Loïc.
- L’opportunité : « A partir de 2 ans d’expérience en audit, nous devenons une cible pour les chasseurs de têtes » résume Loïc.
Fidéliser les jeunes auditeurs : beaucoup d’actions, peu de résultats ?
Pour tenter de conserver leurs forces vives, les Big ont généralisé les possibilités de télétravail, et proposent généralement des formules très flexibles. Par exemple chez BDO, le travail à distance est passé à 4 jours en 2022, avec la possibilité d’opter pour 4 semaines de télétravail continues pendant l’année.
Les initiatives destinées à améliorer le bien-être au travail se sont aussi multipliées ces dernières années. Mais à la question « de votre point de vue, des actions ont-elles été instaurées en interne pour limiter le départ des collaborateurs ? », les auditeurs n’ont pas la même réponse que leurs dirigeants ! Quelle que soit la taille du cabinet, 80 % d’entre eux estiment qu’aucune action n’a été menée au sein de leur structure en ce sens… alors que 75 % des décisionnaires affirment l’inverse3.
Si les RH des cabinets d’audit ont le sentiment d’avoir fait beaucoup alors que les collaborateurs sont d’avis contraire, c’est qu’il y a un problème. Manifestement la fidélité ne s’achète pas avec un mur d’escalade ou un escalier musical. Il faut s’attaquer aux racines du mal.
Penser d’abord au quotidien du travail : le planning et la juste répartition des missions
« Chaque semaine est dictée par le planning, explique Loïc. Dans le Big d’où je viens, il y avait trois ou quatre personnes au service planning. Mais franchement, c’était lourd et vieillot. La feuille Excel avait remplacé le tableau à fiches du couloir, et c’était à peu près tout ». Un comble pour un cabinet premium ?
Et la répartition des missions, le staffing ? Caroline s’en souvient. « Junior, on n’a pas trop son mot à dire. Oui, on a exprimé ses préférences lors de l’embauche, mais en fait le système de planning est incapable de les prendre en compte ». D’où de possibles frustrations, encore amplifiées par les caractéristiques de la mission - il y en a de bonnes… et de moins agréables mais le junior n’est pas encore au courant ! « C’est n’est qu’au fil des affinités avec son manager que petit à petit on peut davantage choisir ses missions ».
Autre problème récurrent : se retrouver, 6 mois avant, en double ou même en triple booking. Le fait de managers (voire d’associés) qui entendent se réserver l’usage de « leur » équipe pour un avenir pas encore certain. « Pour nous c’est la pire des situations », déclare Loïc.
La transparence, plébiscitée par les jeunes diplômés, n’est pas non plus de mise : « Ce que l’on sait des missions et des clients demeure informel. Car si on n’en parle pas aux autres… on pourra rester plus longtemps sur une bonne mission ! », remarque Caroline.
Comment un outil moderne de planning et de staffing peut changer la donne dans un cabinet d’audit ?
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[1] https://www.optionfinance.fr/carrieres/laudit-peine-a-fideliser-ses-equipes.html
[2] Le marché de l’emploi en cabinet d’audit, conseil et expertise-comptable, édition 2022/23
[3] FED Finance, 2019/2020